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La cellule Conservation préventive aux avant-postes concernant les inondations

Françoise Collanges est collaboratrice scientifique dans la cellule Conservation préventive à l’IRPA. La cellule a été une des premières à être impliquée de manière très active en réponse aux catastrophes qui se sont produites l'année dernière, particulièrement en Wallonie.


Une fois la catastrophe passée, quels sont les moyens apportés par votre cellule de conservation préventive?

Françoise Collanges : La conservation préventive s’intéresse à l’évaluation des risques qui peuvent impacter le patrimoine. On parle de risques lents, tels les problèmes climatiques, au sens de problèmes d'humidité, et les risques majeurs, comme les crues, les incendies, les séismes. Notre rôle est de mettre en place les procédures et des méthodologies pour gérer ces risques.

Cette catastrophe avait-elle été préparée, prévue ou même imaginée ?

Il n’y avait aucun dispositif pour le patrimoine sur cet aspect-là. Diverses politiques régionales et au sein des établissements fédéraux encouragent depuis des années à rédiger des plans d'urgence et anticiper les catastrophes. La cellule durabilité de l'IRPA, par exemple, a mis en place une stratégie de prévention et de gestion de crise pour les ESF ces dernières années. En réalité, au niveau des entitées, cela reste encore ponctuel, surtout établissement par établissement, et il n'y a pas de stratégie plus large au niveau des provinces et des régions ou au niveau national. Donc, quand un phénomène climatique comme cela se produit sur une zone du territoire si large, l’évaluation est actuellement impossible. Il n'y a pas de structure en tant que telle pour gérer l'impact des risques majeurs sur le patrimoine et aucun lien avec la gestion de crise en place au niveau du ministère de l'Intérieur par exemple. Toutefois, l’IRPA étant reconnu et travaillant avec de nombreuses personnes aux quatre coins du territoire, son réseau informel a fait remonter l’information de manière presque organique.

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Là où les laboratoires et les restaurateurs s’occupent d’œuvres individuelles, en conservation préventive, on s'occupe de gestion des collections dans leur diversité et leurs volumes. On a eu des informations de terrain qui sont remontées par les canaux de l’IRPA, indiquant des bâtiments impactés et des collections entièrement inondées. La situation était très compliquée sur place.

Françoise Collanges

Avec le réchauffement climatique, d’autres catastrophes de ce type sont probables. Qu’est-ce qui va être mis en place ?

Comme il n’y avait rien de prévu, rien d’existant, nous avons fait des choix et notamment de comprendre ce qu'il se passait sur le terrain, de centraliser les informations pour situer les zones d'impact et inventorier le patrimoine impacté. Au sein d'un comité de crise, copiloté par moi-même et ma collègue Wivine Roland-Gosselin de la cellule durabilité, nous avons rassemblé les demandes d'aide, mis en contact les gens, pour qu'il y ait de l'aide effective qui se mette en place. Nous avons travaillé en collaboration avec l’association Blue Shield Belgium (Bouclier bleu) qui a pour but de parer par toutes mesures appropriées aux catastrophes tant naturelles qu’humaines qui menacent le patrimoine culturel mobilier et immobilier. Elle s’est chargée de l'organisation des propositions de bénévolat sur les sites.

Plus spécifiquement, au sein de notre spécialisation de conservation préventive, on intervient en général plutôt sur les aspects de la gestion des risques en amont, par la rédaction des plans d'urgence et de procédures à suivre pour limiter les dégâts. On intervient également de plus en plus sur les conséquences, en étudiant comment les sites peuvent éventuellement se remettre et peut-être rouvrir. On remarque toutefois que les sites impactés ont des problèmes budgétaires dans un contexte où leurs administrations de tutelle sont elles-mêmes en détresse, préférant investir avant tout dans la reconstruction d’écoles, des voiries, etc.

Un an après, les problèmes sont-ils résolus et peut-on chiffrer les pertes?

À l'heure actuelle, il n’y a pas de bilan chiffré à l’échelle nationale des pertes patrimoniales et culturelles. Chaque établissement et chaque administration de tutelle se débrouille pour faire sa propre évaluation des dégâts. Très souvent, ça se cantonne à répondre aux questions des assureurs pour obtenir un dédommagement. Difficile, pour eux, de faire état d’un objet lorsqu’il a complètement disparu. La valeur patrimoniale d’une œuvre ne préoccupe pas les assureurs.

Évaluer les dégâts est pourtant essentiel pour savoir où intervenir. Si l’IRPA est naturellement positionné pour y répondre, nous n’avions pas les moyens de faire des évaluations qui aboutissent à des chiffrages ou à des bilans complets. C’est ce que nous allons maintenant pouvoir réaliser grâce aux budgets supplémentaires octroyés par BELSPO. Nous allons tenter de pérenniser les informations liées à cette crise pour en tirer des leçons et pouvoir, dans l'avenir, obtenir une analyse de l'impact réel.

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Appel à témoins pour recenser le patrimoine touché par les inondations de juillet 2021

Les inondations ont également endommagé des centaines de bâtiments historiques et de collections patrimoniales. Dans nombre de cas, ces dommages ne se révèlent que tout récemment. Afin d'élaborer des propositions de traitement et de se préparer aux crises futures, l'IRPA lance un appel à témoins pour signaler tout patrimoine touché par les inondations de l'année dernière.

L’IRPA, par son histoire, a un rôle central, ne serait-ce déjà par son rôle d’inventorisation du patrimoine belge. De nombreux éléments non inventoriés ont-ils été perdus à jamais?

Jusqu'aux années 1990, l'IRPA avait réalisé de nombreux inventaires de biens dans les églises sur l'ensemble du territoire. Cette mission a été, depuis, transférée au niveau local. Chaque zone a donc défini sa propre manière de gérer son patrimoine. Pour les églises dans la zone impactée, par exemple, c'est le CIPAR, une association interdiocésaine, qui a pour rôle d’aider les fabriques à réaliser leurs inventaires et assurer une conservation raisonnable des biens.

Le CIPAR s'est retrouvé en première ligne avec très peu de moyens. Nous avons apporté notre aide parce que nous avions encore cette expertise de terrain. Nous avons également collaboré avec le diocèse de Liège qui a été, lui aussi, lourdement impacté. Ils ont mis en place un suivi des dégâts sur le patrimoine lié aux inondations. À chaque fois, la complexité tient à trouver une géométrie locale. Certains collaborent entre eux sans aucun problème, mais pas tous. Avoir un acteur neutre comme l'IRPA est gage d’un autre regard, d’une autre expertise.

Pour évaluer l’impact global sur une grande zone géographique, seule la Région wallonne est en mesure de faire des bilans chiffrés. Cela a été fait par l’AWAP (l’agence wallonne du Patrimoine) sur les bâtiments classés. Mais la gestion étant divisée dans différents services, il n’est pas prévu de synthèse totale et complète. Imaginons que la Flandre ait été autant impacté elle aussi, aucun organisme n'était missionné pour faire une synthèse de la situation à l'échelle du pays. C’est pourquoi je pense que l’IRPA a un rôle à jouer.

En ce qui concerne les biens privés, la complexité tient au manque d’information. Les propriétaires ne pensent pas à contacter l’IRPA ou les institutions publiques et n'ont pas de point de contact évident pour se faire recenser.

L’évaluation des dégâts et le suivi des évolutions dépendent d’informations remontant depuis le terrain. Les administrations, par le biais du comité de crise, ont fait remonter l’information, mais, en effet, les propriétaires privés n’ont pas forcément pensé à indiquer qu'ils ont eu un problème. Pour les bâtiments classés ou pastillés, les propriétaires ont voulu obtenir des dédommagements et ont dû faire une déclaration à l’AWAP. Mais tout ce qui n'est ni classé ni pastillé et qui ne dépend pas d'une administration pour un contrôle est passé sous le radar. Depuis janvier, on a découvert plusieurs sites impactés qui n'avaient pas été répertoriés avant. Sur des biens privés, la valeur patrimoniale, au sens de valeur pour la collectivité, n’est pas forcément perçue de la même manière.

Un simple nettoyage et séchage ne résout pas tous les problèmes, ainsi que vous le remarquez encore un an plus tard.

Un an après les inondations, il y a toujours des églises qui n’ont pas rouvert ou qui ont été refermées par la suite parce les moisissures et des problèmes d'humidité rendaient à nouveau le bâtiment insalubre. Dans les églises inondées, une fois qu'on a nettoyé la boue et qu'on a mis à sécher tous les objets qui étaient souillés, on va avoir des développements de moisissures. Le temps ayant été mauvais, tant durant l’été que l’hiver, les bâtiments n'ont pas séché. Certains ont vu des développements de moisissures dans des endroits qui n'avaient pas été traités. Des objets dont on pensait qu'ils avaient séché se sont quand même mis à pourrir. Ainsi, les dégâts continuent si on ne fait rien. La longueur de ce suivi est difficile à mettre en œuvre.

Pensons aux meubles qui permettent de stocker les objets textiles. Inondés, couverts de boue, certains ont continué à moisir. Ceux-là ont été détruits parce qu'ils n'étaient plus récupérables. De fait, on ne peut pas remettre les collections en place puisqu'on n'a plus rien pour les ranger. On tourne donc en rond avec des problèmes de ce type. Si on ne trouve pas à un moment donné le moyen de stabiliser la situation, on continue à perdre des objets.

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Pensez-vous qu'il y aura moyen de résoudre certains problèmes et que l'ensemble du travail va permettre de sauver une majorité de ce qui a été impacté? Est-ce que ce sera mieux géré à l’avenir ? Et que fait l'IRPA dans ce but?

Ce qui s'est passé était, je pense, assez exceptionnel. Il y a eu une grande mobilisation pour essayer de trouver une réponse à une crise d’une si grande ampleur. C’est un germe qui est très positif. C’était la première fois qu'on voyait autant d'acteurs institutionnels dans le pays se réunir pour essayer de trouver une solution commune. Le Bouclier bleu s'est naturellement imposé sur ces problématiques et l'IRPA a pu mettre une partie de sa force de frappe à disposition. Ça a vraiment eu un effet très positif.

Maintenant, nous constatons encore des dégradations. Au quotidien, nous tentons d’aider les responsables sur chaque site à stabiliser leur situation pour éviter des pertes supplémentaires. Nous développons aussi des moyens d'améliorer les restaurations, mais la restauration ne traite que les oeuvres une par une, avec un coût important, surtout si on le compare à celui du traitement en conservation préventive, qui stabilise un plus grand nombre d’œuvres, mais reste moins attractif pour les financeurs, car moins valorisable en termes de communication. Trouver un équilibre dans les choix financiers est difficile et le retour à une situation plus normale sera encore long. Les musées de Verviers, par exemple, sont toujours fermés au public et leur réouverture complète va prendre des années.

Je reste optimiste parce que nous avons fait beaucoup et le bilan aurait pu être plus lourd. Mais si on faiblit dans les efforts maintenant, il ne faut pas beaucoup pour voir se développer de nouveaux dégâts. De plus, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles catastrophes du même type. Ces épisodes d’inondation sont liés au changement climatique. Ils seront plus fréquents. Si on n'apprend pas à trouver des moyens de gérer ces crises, en ayant des moyens de prévention et de traitement des collections efficaces, on aura des bilans de plus en plus lourds. Plus ces crises vont s'accumuler, plus on va se laisser déborder.

Donc, l'action de l'IRPA est intéressante parce qu'avec la conjonction des laboratoires, des ateliers de restauration, de la documentation et de l'inventaire, on a la capacité de prendre les problèmes dans leur globalité et d'aider à étudier cette crise pour en tirer des leçons. Nous étudions des modes opératoires de traitement sur certains types d'objets précis plus efficaces et plus adaptés aux traitements de masse. C'est à dire qu'au lieu de traiter objet par objet, préférer un traitement de stabilisation par lots, pour en sauver plus.

Le budget alloué va-t-il vraiment permettre de faire le travail ou c'est en deçà de ce que ça implique ?

Ce n’est pas seulement une question de budget, mais aussi d’expertise sur ces questions liées aux inondations, par exemple pour le mobilier et les structures bois, où il y a peu d'experts disponibles. Ce qui est sûr, c’est que ces moyens supplémentaires permettent aux spécialistes de l'IRPA de se concentrer sur des projets liés spécifiquement à la mesure d'impact de ces inondations, alors que d'habitude ils sont totalement pris par des projets de recherche à plus long terme. L’IRPA est le lieu idéal pour ce type de recherche.

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