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Le Scientia artis nouveau est arrivé

En décembre 2015, le Fonds Claire et Michel Lemay de la Fondation Roi Baudouin a acquis un luxueux livre d’heures qui ira enrichir les collections de la Bibliothèque communale de Tournai, cruellement dévastées lors du bombardement de la ville en mai 1940. Commandées à Paris et laissées inachevées, les Heures de La Tramerie ont été décorées et illustrées à Tournai dans le premier quart du XVIe siècle. Ce manuscrit permet de reconstruire l’œuvre d’un enlumineur inconnu jusqu’à présent, le Maître de Hughes de Loges. Notre collègue Dominique Vanwijnsberghe vient de lui consacrer une monographie dans la série Scientia artis.

Fig 11 copie

Un long chantier

C’est à Paris que commence l’histoire mouvementée des Heures de La Tramerie. Elles y sont transcrites vers 1430 pour un commanditaire anglais, qui ne peut mener à bien son projet. Seule une page est alors illustrée d’un superbe David en prière, peint par un important miniaturiste français, le Maître de l’Annibal d’Harvard. Il faut ensuite attendre quatre-vingts longues années pour que le manuscrit, passé entre les mains d’un Tournaisien, soit achevé. Au cours de cette campagne, réalisée vers 1510-1520, le livre est confié à un enlumineur local qui complète l’illustration en ajoutant pas moins de treize scènes à personnages.

Une ville en crise

Ces travaux de finition sont réalisés pendant une période troublée de l’histoire tournaisienne. Sur le plan politique, la ville est un pion dans la grande partie d’échecs que se jouent François Ier, Charles Quint et Henri VIII. Le monde intellectuel est en ébullition lui aussi : l’humanisme pénètre lentement les esprits, allié à la montée en puissance de l’imprimerie. Dans le domaine religieux, le protestantisme gagne toutes les couches sociales et divise la population.

Un même enlumineur

Quatre autres manuscrits, ainsi qu’un livre d’heures imprimé, ont pu être réunis autour des Heures de La Tramerie. Tous ces livres sont décorés par le même enlumineur. Le plus émouvant, conservé à Paris, est sans doute la "Prison d’amour" peinte pour Hugues de Loges, dernier gouverneur français de Tournai, celui-là même qui dut céder la place aux troupes de Charles Quint quand elles capturèrent la ville en 1521. Ce haut fonctionnaire français a donné son nom à l’enlumineur : le Maître de Hugues de Loges.

Fig 17 copie

Commande et création

Pour qui et par qui ont été réalisées les Heures de La Tramerie ? Des armoiries, peintes dans deux des miniatures, permettent d’avancer prudemment le nom d’une grande famille tournaisienne : les Dennetières, dont l’un des membres, Jérôme († 1535), fut un personnage important sur la scène politique locale. Au même milieu appartenait l’enlumineur Claude Dimenche dit Le Lombard, apparenté aux Dennetières. Les deux hommes pourraient être à l’origine de la campagne de finition du manuscrit.

Fig 12 copie

Un destin illustre

Au début du XVIIe siècle, le livre d’heures se trouvait entre les mains d’un certain François de La Tramerie. Il reste dans sa famille pendant près de cent-cinquante ans pour aboutir dans la collection bruxelloise de la comtesse Anne-Thérèse d’Yve († 1814), une femme hors du commun qui possédait l’une des plus belles bibliothèques de son temps. À sa mort, le manuscrit rejoint le circuit commercial. Il refait surface à Chartres en 1996, passe dans une collection américaine, avant d’être acquis à Londres par le Fonds Lemay pour être déposé à la Bibliothèque communale de Tournai.

Couleurs et pigments

L’analyse des encres et pigments des Heures de La Tramerie, menée par Marina Van Bos et Maaike Van Dorpe, a utilisé la macro-fluorescence des rayons X (MA-XRF) pour tenter d’identifier la palette des différents peintres et documenter ainsi un siècle d’histoire de la technique de l’enluminure. L’analyse des matériaux a mis en évidence de subtiles variations entre les miniaturistes, qui corroborent la distinction des mains opérée par l’analyse stylistique.

Dominique Vanwijnsberghe, avec une contribution de Marina Van Bos et Maaike Van Dorpe, « Mes meilleures heures de Nostre Dame ». Les Heures de La Tramerie, un manuscrit vagabond (Paris, vers 1430 - Tournai, vers 1510-1520) (Scientia artis, 19), Bruxelles, 2022, 219 p., 132 illustrations couleur.

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